Ballade historique dans le Vieux-Sainte-Anne.
Dans le cadre du Slow-Ways WE, 21 octobre 2024.
DEBUT DE LA BALLADE
Le Quartier du Vieux-Sainte-Anne s’étend sur le versant Sud de la Woluwe. Il était à l’origine bordé par celle-ci et de l’autre côté par le plateau du Zavelberg, une lande en bordure de la forêt de Soignes, le Prieuré de Val-Duchesse et le vieux chemin du Houtweg (aujourd’hui recouvert par la chaussée de wavre).
Ses limites sont aujourd’hui le blvd du Souverain – qui longe la Woluwe ; la chaussée de Wavre; la chaussée de Tervueren; et le domaine de Val-Duchesse (une partie de la forêt de Soignes). Vu le thème du jour, nous vous proposons de partir à la découverte des très nombreux cheminements piétonniers qui le parcourent et de la riche bio-diversité qui y subsiste. Ce sera l’occasion d’une remontée dans le passé historique si particulier de ce quartier, qui explique la survivance de ces cheminements. Ce sera également l’occasion de comprendre l’origine de ce curieux nom de « Vieux Sainte Anne ».
Le Quartier du Vieux-Sainte-Anne est un des plus anciens d’Auderghem – de même que les quartiers environnants (Bergoge et Sainte-Anne – encore plus anciens que lui). Ils ont été urbanisés brutalement, en une fois, Sainte Anne à partir du milieu du XIXe siècle, Vieux Sainte-Anne au début du XXe siècle. Ce qui a figé des tronçons des vieux chemins qui parcouraient la campagne – que l’on retrouve encore aujourd’hui sous forme de parcours piétonniers ou de semblant de rues qui se révèlent largement impropres à la circulation automobile. Les « SLOW WAYS » du jour …
Y subsistent également, noyées dans les constructions des XIXe et XXe siècles, des maisons très anciennes témoignant de ce passé brutalement révolu. Elles se distinguent par l’absence d’étage. Souvent, subsistent encore à l’intérieur des structures en colombages.
RUE DU VERGER
Se trouvait ici un verger et des potagers – dépendant sans doute du prieuré – qui s’étendaient sur tout le versant (emprise du Vieux-ste-Anne actuel). Ils étaient découpés par un maillage de chemins régulier. Celui-ci était le chemin central. Son ancien nom est Middenweg. Au milieu de ce chemin du milieu, subsiste un étroit passage perpendiculaire sans issue, bordé d’un côté de maisons, autre reste de ce maillage régulier.
« CHAPELLE » SAINTE ANNE
Eglise isolée, très ancienne (+/ 1030). Lieu de pèlerinage très important. Les jeunes femmes en mal de procréation et les jeunes filles ne trouvant pas de maris venaient ici. A côté de l’église se trouve un puit à l’origine immémoriale. La pratique a été occultée; il semblerait que les jeunes femmes faisaient 3 fois le tour de l’église et/ou du puits, qu’elles s’asseyaient à califourchon sur celui-ci … Elles faisaient une prière à Ste Anne, lui demandant de leur accorder la grâce d’enfanter.
Quelle est l’origine de ces pratiques ? En tout cas, pas chrétienne (qu’a dit Jésus à ce sujet ?). Les églises dédicacées à Ste Anne sont très peu nombreuses chez nous. Elles sont presque toutes dans la même configuration que celle-ci : à l’écart de toute agglomération, dans la forêt, en lien avec l’eau (ici double : le puits, le versant de la vallée). On retrouve ici une situation classique de ces hauts-lieux liés aux éléments naturels considérés par les anciens comme étant en lien avec l’origine de la Vie.
La masse Forestière, considérée comme un lieu originel – le lieu de l’ »Autre Monde ». Et l’eau, considérée comme étant celle qui donne la vie. C’est ainsi que, chez les romains, on retrouve la déesse de la forêt et des eaux qui sourdent de celle-ci, Diane, dont le nom vient de Di – Ana (Déesse – Ana). Le nom de l’Âme vivifiée est An-ima, qui donnera animation en français.
Chez les Celtes d’Irlande, on retrouve Ana, qui est à l’origine de tous les dieux – que l’on appelle « le Peuple d’ Ana » – en gaélique les « thuata de danan » ; dernier avatar « la tribu de Dana ». Ana serait celle qui donne l’étincelle de Vie, qui anime l’âme.
Quand les peuples celtes vont se christianiser, ils vont apporter dans le panthéon chrétien leur grande Ana, sous le nom de Sainte Anne. C’est ainsi qu’elle est considérée comme la grand-mère de tous les bretons, qu’en Armorique son culte est le plus important (les grands pardons). Elle intègre le panthéon chrétien en tant que grand-mère de Jésus (mère de Marie) – alors qu’elle n’est même pas mentionnée dans les évangiles canoniques.
Il s’agit donc ici de la continuité d’un culte et de principes très anciens, bien antérieurs à la chrétienté, mais intégrés par celle-ci – sans doute parce que trop importants pour pouvoir être abandonnés. Notre église Sainte-Anne est donc la survivance jusqu’à aujourd’hui de principes à la fois très importants et très anciens. On comprend donc que c’est ce culte, rendu dans un lieu complètement isolé, qui, par son importance, est à l’origine d’ Auderghem.
L’église est certainement construite sur un temple celte. On peut encore se demander pourquoi ceux-ci avaient choisi ce lieu en particulier. Outre ce qui est dit plus haut, c’est aussi parce que l’axe de son plan se superpose à celui de forces telluriques particulières. Et que ce même axe est aussi celui des levers et couchers de soleil au moment des solstices (NE-SO). Il y a très peu de lieux sur la planète qui rassemblent toutes ces caractéristiques. C’est la rencontre de tous ces éléments qui faisaient que les anciens considéraient ces lieux comme une sorte de résumé de la construction du monde.
> Première branche du nom « Vieux Sainte Anne »
PRIEURE
Couvent de femmes (poursuite du symbolisme féminin-origine de la Vie) fondé par la duchesse Aleyde de Bourgogne/Brabant (femme) en 1262. 42 nonnes et 6 converses dominicaines, ordre prêcheur fondé en 1215. En contre-bas de l’église, le long de la rivière. Gèrent l’église et le pèlerinage associé (prieur, etc.),
« RESURGENCE » DE LA WOLUWE
La rivière sera canalisée et enfouie sous les rues Bassem, Idiers et Steeno lors de la création de celles-ci au début du XXe. Elle est toujours visible en amont le long de la Venelle des Blanchisseuses, avant le viaduc Herrmann-Debroux, et en aval elle réapparaît ici devant le prieuré.
RUE DU VIEUX MOULIN
La plus ancienne rue d’Auderghem (la toute première). Voie d’accès au prieuré (et probablement à l’église) – connectant avec le Houtweg. Au bout : le moulin. Entre les deux : maisons de manants – au service du prieuré – s’élargissant en hameau devant le prieuré et autour de la Chapelle.
LES TROIS RIVIERES
A hauteur du supermarché carrefour actuel, confluait le Watermaelbeek avec la Woluwe. La vallée du Watermaelbeek est très large : englobant l’actuelle place Pinoy et en face toute l’emprise du parking du supermarché. Sur l’autre rive de la Woluwe confluait en face le Roodkloosterbeek, avec une vallée tout aussi large : de l’actuel parc du Bergoge à la montée vers le quartier du Transvaal.
Ces trois très larges vallées étaient occupées par des dizaines d’étangs séparés par des marécages. L’ensemble formant un obstacle sérieux pour accéder à la Forêt de Soignes en venant de Bruxelles.
HOUTWEG
Le « chemin en bois ». Très ancien chemin qui reliait la Forêt aux menuiseries qui se trouvaient du côté de la place Flagey actuelle, utilisant la force motrice du Maelbeek. Il descendait dans la vallée de la Woluwe en utilisant le versant du Watermaelbeek pour atténuer la pente et éviter les marais. Il remontait de même en face par le versant du Roodkloosterbeek.
Le chemin profitait donc de cette alignement des vallées pour franchir plus aisément la Woluwe. Son nom provient sans doute du fait qu’il était probablement pavé de bois sur une grande longueur, dans sa traversée des marais. Il remontait le versant du roodkloosterbeek pour se diviser en deux branches : une redescendant sur 3 Fontaines ; l’autre rejoignant la clairière de Tervueren. Recouvert par les chaussées – le Bergoge
En 1726 le vieux houtweg est pavé (chaussé), sur ses deux branches – qui deviendront les deux chaussées (chaussée de Wavre et chaussée de Tervueren).
A ce moment sont construites une douzaine de maisons dans le bas de la chaussée de Wavre. Et tout un quartier au sommet, sur le zavelberg : le Bergoge. Son nom vient du patois local : Berg – Hosje = petite maison sur la colline. Il s’organise en longues bandes de maisons reliées à la chaussée par d’étroites venelles piétonnes. Elles se termineront par de hauts escaliers quand on creusera le sommet de la chaussée à la fin du XVIIIe siècle pour faciliter la montée aux charrois.
RUE DU VILLAGEOIS
Intriguant nom de rue ! … Survivance du chemin formant la bordure de la zone potagère. Son nom était Heydestraet : le chemin pavé de la bruyère. En effet, il menait à une vaste bruyère (lande) qui occupait le haut du Zavelberg. Il a été élargi une première fois au début du XXe (tronçon descendant) et une deuxième fois dans les années 1970 (partie horizontale).
Explication du nom – La vente du prieuré
En 1843, il n’y a encore, le long du Heydestraet et sur tout le versant, que 6 maisons – datant du XVIIIe, début XIXe. Le prieuré et l’église ont été vendus en 1798, et sans doute avec eux l’ensemble du versant avec ces 6 maisons, plus les deux hameaux qui se trouvaient devant le prieuré et autour de l’église. On ne connaît pas le sort exact de la rue du Vieux Moulin , mais on peut penser que ses habitants sont à cette époque déjà considérés comme propriétaires.
En 1843, c’est celui qui deviendra le premier bourgmestre d’Auderghem, Henri de Brouckère, qui acquiert l’ensemble. Vers 1902, il revend le prieuré, l’église et son hameau à Charles Henri Dietrich.
Ce dernier chasse les habitants et détruit leurs maisons (qualifiées de « chaumières insalubres »). En même temps, la maison de campagne qui se trouvait devant le prieuré est vendue à Charles Waucquez, avec le – gros – hameau qui l’entourait. Ce dernier va faire construire l’actuel « Château Sainte-Anne » et chasser lui aussi les habitants. Il les reloge en construisant une 20e de maisons en bordure de sa propriété, le long du vieux Heydestraet, dans le bas de celui-ci. C’est ainsi que le chemin est rebaptisé « Dorpelingenstraat » (rue des villageois) – rue du villageois en français.
RUE DE LA PENTE
Curieux nom de « rue » pour un étroit chemin piétonnier ! // à la rue du verger, un des chemins quadrillant la zone potagère subsistant.
SCHIETHEYDEVOETWEG
Le chemin traverse le vieux Houtweg – recouvert par la chaussée de Tervueren. Et continue à monter sur l’ancienne bruyère du zavelberg. Il se nomme maintenant schietheydevoetweg parce que s’y trouvaient des mâts de tir à l’arc.
QUARTIER SAINTE ANNE
Au milieu du XIXe la population du royaume, et celle de Bruxelles, s’accroît. En 1863, Auderghem devient une commune indépendante en se détachant de Watermael ; elle a alors 1 600 habitants (auj. 35 350). 30 % d’entre eux habitent encore la rue du vieux moulin (78 maisons).
En 1843, elle avait acquis l’autonomie paroissiale par la construction de la nouvelle église Sainte Anne, sur le seul espace disponible : la lande en bordure de la chaussée de Tervueren. Rapidement, elle est entourée de nouvelles maisons. En 1866 on crée la rue des deux chaussées, pour loger les petites gens expropriés par la construction du palais de justice. En 1892 la famille Walcquiers lotit son terrain, vendant à crédit en primeur aux gens natifs de la commune.
Le nouveau quartier ainsi créé prend naturellement le nom de l’église paroissiale (lui-même issu du nom de l’antique église à l’origine de l’agglomération) : Sainte Anne.
RUE DE LA PIETE
Le vieux schietheydevoetweg se poursuit de l’autre côté de la nouvelle église pour rejoindre la descente sur Rouge-Cloître. Il est lui aussi loti dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Les habitants l’empruntant pour faire leurs dévotions, il a lui aussi été rebaptisé.
VIEUX SAINTE-ANNE
Quand, au début du XXe siècle, on va, cette fois, construire progressivement la rive « basse » de la rue du villageois et tout le versant de la vallée, ce nouveau quartier sera naturellement nommé « Vieux Sainte-Anne ». Pour rappeler que c’est au bas de ce versant qu’avait commencé Auderghem (avec la rue du Vieux Moulin).
PARVIS SAINTE ANNE
En face de la nouvelle église, le dernier terrain de l’ancien prieuré encore privé est finalement loti à son tour à partir de 1970. Cette zone, entre chaussée de Tervueren et rue du villageois, partie de la Forêt de Soignes, est urbanisée selon les critères de l’époque. Des « villas 4 façades » et, rue du villageois, des maisons « bel étage », sans toiture, avec garage au rez et larges baies vitrées. Elles sont construites profondément en retrait de la rue, pour pouvoir y garer une voiture. Le résultat est surprenant : sur cette rive de la rue du villageois, cette architecture typique des années ’70 – cohabitant avec, en face, sur l’autre rive, une architecture de maisons encore « traditionnelles », construites en bord de voirie.
On en profite pour (enfin!) doter la nouvelle église d’un parvis. Mais celui-ci est reporté de l’autre côté de la chaussée de Tervueren et occupé par un parking (!…).
VIADUC HERRMANN DEBROUX
Quand on va construire l’autoroute E411, on va profiter de l’alignement des vallées du Watermaelbeek et du Roodkloosterbeek, pour franchir à cet endroit la Woluwe – comme le faisait l’antique Houtweg. C’est ainsi qu’Auderghem va hériter de ce magnifique viaduc que le monde entier nous envie. On est en 1972, le viaduc va faire disparaître ce magnifique éco-système de vallées humides, exproprier une trentaine de maisons, et tout cela sans aucune demande de permis de bâtir ( ! ).
CENTRE SPORTIF
En 1968, les édiles communales ont de grands projets pour le Vieux-Sainte-Anne : raser toutes ces misérables maisons habitées par de petites gens pour les remplacer par une série de tours d’habitations, modernes et hygiéniques … Les habitants vont se mobiliser pour sauver le quartier – ce sera l’origine du Comité. La première partie du plan est néanmoins construite : le Centre Sportif – cohabitant depuis +/- heureusement avec ses irréductibles voisins …
Charles Gheur . Octobre 2024